Texte rédigé durant le projet IMAG'IN

le 17/06/2023
Neuf ans plus tard


Chère Eve,


Je ne me souviens pas la date exacte de notre rencontre. Je me souviens de tes lèvres et de ton corps tout droit, crispé, déjà si jeune.

Eve. J’ai changé ton nom. Pas pure hier, pas pure aujourd’hui.

Il faisait froid quand nous nous sommes rencontrées, -10 ou -15 à Montréal je n’en suis pas sûre.

Dans mon cœur, un volcan est né, dans le tien, ice queen, je ne sais pas.

Depuis bien avant déjà, je savais que j’aimais les filles mais toi, dans ton uniforme de jeune femme sage, tu m’as surpris, assurément.

La seconde fois que l’on s’est vus, je t’ai surpris en train de prendre de la cocaïne.
J’avais 20 ans, amie avec l’alcool, pas avec les drogues dures, je t’ai jugée, mais aussi, ça m’a plu.

1h plus tard, tu m’embrassais dans les toilettes, fièrement, comme la grande gouine qe tu étais déjà.

Après cette fois-là – tu as commencé à m’écrire des longs messages, très intellectuels, auxquels je répondais mouillée. J’y croyais déjà ma belle, à notre amour qui durerait.

À l’époque, tu voulais être criminologue et moi journaliste. Je fantasmais sur nous deux, duo de choc, à l’assaut du monde, cinématographique.

Je me demande aujourd’hui si toi aussi tu voyais quelque chose en nous, ce nous embryonnaire dont la vie fut si courte.

Eve, tu m’as menti tant de fois – tu m’as fait croire à ton célibat pour mieux te cacher à coucher avec un homme pour ne pas assumer ton homosexualité.

Eve, je ne sais pas si tu savais, mais j’ai fait mon coming out pour toi.
Un mois plus tard, je claquais la porte de chez tes parents pour affirmer mon dégoût de tes mensonges.

Le temps est passé, nous n’avons jamais pu vraiment être ensemble, jamais vraiment pu faire l’amour (tu étais bloquées), plus jamais vraiment pu rire ensemble, et ça, je ne sais pas vraiment pourquoi…

Malgré tout, nous sommes restées en contact.
Tu es partie à l’école de police et j’ai lâché mes études pour devenir journaliste.

J’étais indépendante, tu ne pouvais pas être plus dans les cordes. Comme si tu avais accepté qu’obéir serait ton avenir. Obéir à qui, à l’état, à tes supérieurs, au status quo.

À ce moment-là, tu ne m’as pas manqué car je n’ai pas compris ton choix, je l’ai abhorré même. J’avais l’impression de me battre pour le mieux de toustes, et contre la police. Une fois placée, tu t’es retrouvée à Calais, là où les migrants sont maltraités et risquent leur vie tous les jours face à une police aveugle et monstrueuse.

Tu me disais que c’était dur mais je ne comprenais pas pourquoi tu ne quittais pas les ordres. Je t’ai haï pour ça, autant que je t’aimais encore.

L’été dernier, prise par une crise de bipolarité je t’ai contacté pour que tu me dénonces à la police pour des faits dont je n’étais pas coupable. Tu n’as rien dit, la boucle est bouclée.

Dans ma folie, et mon vieux fantasme, je t’ai utilisé, folie malgré tout.


À bientôt peut-être, je ne sais pas.


Alizée