Texte rédigé durant le projet IMAG'IN

FLUIDITÉ


Est-ce qu’un jour je serais fini ? Je dis “fini” ici non pas pour évoquer le pied que j’aurais dans la tombe un jour, éventuellement, mais bien pour parler d’un “moi” complet. Laissez-moi éclaircir cette pensée : je suis bisexuel et je raffole de pizzas. Mon attirance sexuelle n’a été que découverte récemment et son acceptation totale est encore en cours. Le goût pour le délicat met napolitain, quant à lui, est plus ancien, je dirais même ancestral si on en reste à l’échelle temporelle de ma courte vie. Ces deux éléments constituent ma personnalité en s’agrégant à des centaines d’autres goûts, appétences, envies, vécus, souvenirs, relations, futurs.

Il y a quand même une différence fondamentale entre ces deux traits de personnalité : déjà, je ne suis pas attiré romantiquement par les pizzas ; ensuite, la découverte de ma bisexualité a sonné un bouleversement complet de ma vision du monde – ou plutôt, de ma vision de mon monde. Comme si, depuis toujours, je m’étais menti à moi-même. Ai-je été bisexuel toute ma vie derrière un voile de mensonge ou suis un hétéro métamorphosé, sorti du cocon de la norme ?


Vous pourriez répondre que ça ne change rien. Dans l’absolu, je suis moi dans l’instant T. Sauf que ce moi est différent du moi d’il y a un an, celui qui se pensait encore hétéro. La différence intervient ici : je préfère le moi de maintenant, complété par des aventures dans le labyrinthe de ma psyché. Ces aventures furent de véritables quêtes fantastiques, sauf qu’à la place d’un fabuleux trésor, j’en ai tiré des questionnements existentiels. Je suis, ou en tout cas je me sens, plus complet qu’avant. Mais cette pensée me provoque une angoisse profonde : “être plus complet qu’avant” implique que je ne suis pas complet – que je ne le serais jamais.


Les questionnements de sexualité et de genre ont la fâcheuse tendance à être des dominos introspectifs : questionner son attirance, c’est souvent la porte ouverte pour questionner son rapport au genre et bien plus. Pour revenir à mon analogie initiale, je ne serais pas particulièrement bouleversé si mon amour de la pizza évolue ou même disparaît. Certes, cela serait un changement, mais pas disruptif. Les thématiques LGBTQIA+ sont, elles, trop intimes pour laisser quiconque de marbre, elles me donnent l’impression de renverser tout mon monde façonné par la société cishétéronormative. Alors comment s’aimer, s’accepter, face à cette angoisse de ne pas être le “soi” complet, fini, figé ? Comment accepter l’inévitable réalité de n’être qu’une somme informe de traits de personnalité ?


Ce que la communauté LGBTQIA+ m’a appris, c’est comment trouver l’amour dans ce chaos. Ce chaos intérieur, cette fluidité informe qui est intrinsèque à chaque être. Non, je ne serais pas complet. Je ne me réveillerai jamais “fini”. Je continuerai toujours de me découvrir et de m’aventurer dans ma psyché. J’ai appris à être parfaitement incomplet.


François.