Texte rédigé durant le projet IMAG'IN

Aujourd’hui,
le 29 avril 2023


Lettre à la mémoire d’un Deux Esprits qui ne savait qu’ilelle étaient.

À vous mes/nos ancêtres passés/présents/futurs du pays de France dans la culture occidentale.

C’est de ma voix que je vous adresse cette lettre. De cette voix peu audible, chuchotée, serrée, censurée, muselée, détestée qui dit “Je”.

J’étais deux en 1974. J’étais “Elle” qui s’inquiétait déjà à ce très jeune âge de la douleur d’enfanter, peut-être même du traumatisme de l’accouchement, bien vite rassurée sur ce fait par la mère, génitrice.
Non les petits garçons ne sont pas enceint et ne portent pas d’enfants. Pourtant, je suis Elle, y a pas de doutes mes jambes me montrent bien qu’elles peuvent se vêtir de jupes ou de robes, elles sont élégantes et séduisantes.

Et puis il y a “Il” aussi qui a un zizi qui joue au docteur avec la petite fille et le petit garçon. Mais surtout on attend de lui qu’il soit sportif, qu’il se chausse des valeurs familiales : 
activités sportives de plein air, volley-ball, travail manuel du bois et classe ouvrière.
Tout ce que je déteste.

Dès que j’ouvre la bouche, je ne sais pas qui parle, j’ai envie de hurler genre coloratura que je suis une et peut-être un aussi. On est au moins Deux.
Et là, le milieu se rebelle. C’est une fille manquée. Il est maniéré. C’est Toi la tapette.
Et là, la voix s’étrangle, se rétrécit jusqu’à vouloir disparaître. Passer inaperçu. Puisque l’on n’accepte qu’une moitié de moi, je dois me scinder en deux. Elle est tapie au fond de la chambre, dans les recoins, elle grandit dans l’ombre de l’anonymat, de la dissociation en se dandinant sur Like a Virgin. Heureusement qu’il y a Madonna.
De plus en plus étouffée, elle s’étrangle, elle s’invente une mort dans une vie parallèle.
Ça se passe à New York, elle est probablement prostituée et elle est assassinée par un prédateur, peut-être son mac, c’est donc en silence que la voix, les jambes, elle, finit son existence.
La résurrection. Malgré toute la souffrance infligée par celui qui se fait appeler Dieu le Père, au moins la résurrection a permis d’entendre que le récit de ces voix, de ma voix n’était pas vain.

J’entends des voix. C’est une belle ironie. Maintenant ces voix sont portées par ma voix multiple.
Elles me disent : certains êtres sont parfois incarnés par deux Esprits.
Dans ton cas c’est un Esprit masculin et un Esprit féminin.
Encore une fois ma voix doit rester muette. Qui pourrait bien entendre cela ? On connaît toutes les stratégies pour survivre à l’hostilité, la culpabilité de ne pas faire souffrir nos proches, notre famille, nos amis avec ce genre de déclaration.
“Au fait, tu sais, j’ai deux Esprits incarnés dans ce corps. Ça explique pas mal de choses en effet.”